mercredi 4 janvier 2012

Je suis une petite plage, partie 3

Suis-je bête ! Ceci n’a aucun sens ! Non, en fait je suis parti joyeux. Ma femme m’aime c’est certain, elle s’en rendra compte tôt ou tard. J’aime la vie, les oiseaux, mes amis. Et je suis parti pour des années et des années de plaisir intense. Je roule sans souci, la musique à fond, le paysage se fond en moi et je me fonds en lui. Mais en arrivant rue des couilles, plus moyen d’avancer. L’heure est grise mais la radio crache des arc-en-ciels. Ma voiture est stoppée dans sa course par une troupe d’hommes et de femmes habillés en noir. Ils protestent contre la non-pollution avec de grandes pancartes, des banderoles qu’ils tiennent à cinq six, des cris bestiaux.

Ca sent l’embrouille à plein nez. La radio est à fond et je sifflote en faisant comme si de rien n’était, mais ça ne m’empêche pas de les entendre. « Assez ! », dit un gars faisant office de leader, « on nous empêche de rouler dans les voitures que nous aimons, ne nous débarrasser de nos déchets encombrants dans les forêts inutiles, on va même jusqu’à nous voler notre temps de vie en nous obligeant à trier nos ordures ! Je dis assez ! Qui est avec moi ?! ». Et un nombre effrayant de poings se lève dans un tumulte de voix distordues. « Si vous achetez une friteuse Ultimafrit dès maintenant, vous recevrez un paquet de frites gratuit ! Offre soumise à conditions, consultez notre site web ». On dit que la publicité rend con, c’est probablement pour ça que mon cerveau tout mouillé et tremblotant répète « puteputeputeputeputepute » depuis un quart d’heure.

Le flot des manifestants s’écoule en deux petites rivières autour de mon véhicule. Et ça sent mauvais. Je commence à avoir mal aux genoux à force de rester prostré comme un imbécile à écouter ces couillons vociférer. Au loin je vois un début d’échauffourée avec la police et je me surprends à leur souhaiter à tous un maximum de violence.

Un type avec un bonnet gris sur la tête se met à caler des prospectus sur mon pare-brise. Je lui envoie une giclée de liquide lave-glace. Un autre, ou plutôt une autre car l’égalité des sexes veut que les femmes aient aussi le droit d’être stupides, colle un drapeau sur ma fenêtre arrière gauche. On peut y voir un oiseau mazouté et un slogan minable écrit en dessous : « Give them their true color ! ». Je me retourne et lui crie d’arrêter, elle me fixe alors et me fait tomber dans le néant total. Je vois une telle absence dans ses yeux que j’en ai le tournis. Jusqu’à quel point la vie d’un humain doit-elle être minable pour qu’il finisse par la dédier à la pollution ?

J’ai un frisson. Je klaxonne. Je mets le contact. Je mets la première et je commence à me frayer tant bien que mal un chemin dans la manifestation. Les participants sont scandalisés. Certains se jettent sur ma voiture pour m’empêcher d’avancer. Je leur passe dessus froidement, résolument, moi qui n’ai jamais écrasé une mouche. Je ne comprends même pas d’où vient toute cette violence en moi. Tant pis, autant m’assumer comme je suis. Moins il y en aura, mieux ce sera. Mes cris, les publicités de la radio, mon moteur, les vociférations des manifestants se mêlent. Le bruit est assourdissant. Comme un Beethoven postmoderne je compose sans rien entendre une symphonie pour sang et chair, avec des variations pour os brisés et des improvisations pour cerveau en ébullition. Mon opale reçoit des coups dans son Opel empalant à la pelle. J’arrive enfin à en voir le bout. Le gros meneur de tout à l’heure est tout proche. Il me hurle dessus avec un mégaphone. Je lui offre mon doigt et je m’extirpe de cette masse grouillante.

Le calme reprend peu à peu ses droits. Dans la rue, dans le paysage, dans mon corps, dans ma tête. Je coupe la radio et ma colère se dissipe peu à peu. Il faudra que je pense à passer un petit coup sur le pare-brise dès que je rentre. J’ai peut-être tué quelqu’un. L’idée flotte un instant. Je regarde mes mains, qu’est-ce qui a changé depuis ce matin ?

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