mardi 3 janvier 2012

Je suis une petite plage, partie 2

Quinze ans déjà.

« Oui, quinze ans de bons et loyaux services », dit le roi, lisant dans mes pensées. « Vous savez que j’ai horreur de quand vous faites ça ». Un rire d’enfant fut ma réponse.

Il me laisse là et s’en va, probablement courtiser quelques tailles de guêpe. J’enfile une blouse blanche brodée à mon nom et j’entre dans le secteur B. Le secteur B ! Mon secteur ! Appelé ainsi, B, comme « Best of the Best ! », ça veut dire vraiment trop super en anglais. Mes assistants sont déjà là, le mini-frigo est à moitié vide.

Il y a Polo, que je considère comme mon frère, même s’il vient du sud ; Paula, que je considère comme ma grand-mère ; et Poli, que je traite comme un chien. Notre objectif : créer les drogues hallucinogènes les plus puissantes au monde, des drogues royales pour le plaisir du palais. En quinze ans nous avons déjà eu le temps de composer quelques produits intéressants, tous rapidement interdits sous la pression des lobbies bien pensants.

Maintenant, à huit heures de la retraite, je suis sur le point de peaufiner le mélange le plus déchirant qu’il puisse exister. C’est un mélange de… enfin, je ne sais même plus ce que j’ai mis dedans. Ce qui est sûr, c’est que ça sent la piscine brûlée.

Il ne s’agit pas vraiment de travailler, aujourd’hui. C’est la dernière fois que je les vois tous. Ce soir je dormirai une dernière fois dans mes quartiers… quoi que, j’improviserai. La préparation est prête, on est tous saouls, je vais une dernière fois aux toilettes et j’engueule une dernière fois Poli. Je n’ai jamais pu supporter cette manie qu’elle a de pousser sur la porte des WC pour en faire sortir les occupants. Ce genre d’action a pour effet de me faire resserrer mon sphincter de rage et de m’empêcher d’évacuer tranquillement ma fange interne.

*

La journée est finie, j’ai les oreilles qui bourdonnent. Polo s’assied à côté de moi sur cette magnifique colline herbeuse. Au loin, le soleil se couche. « Cigarette ? La dernière ? ». J’ai l’impression d’être un condamné. Je ne fume pas mais je la fume. Je tousse, ma gorge me gratte et j’attrape deux cancers, un pour chaque poumon. De toutes façons il ne me reste plus grand-chose à vivre. Mon Dieu comme je devient pessimiste !
Il reste une fine lumière dans l’air. Le ciel ressemble à un billet de 20€ et je sens l’odeur de l’herbe humide. Il me reste encore quelques heures, à peine le temps d’aller voir ma famille, d’emmener Poupoune au Clebs Med et de passer à la pharmacie. Je pleure un peu. Tout ça m’ennuie, je suis beaucoup trop jeune pour la retraite, ma femme me bat, mes enfants me haïssent, mon chien est un aristocrate parvenu sur quatre pattes.

Ce que j’aime c’est travailler. C’est tellement rare de pouvoir dédier sa vie à sa passion ! En rentrant dans ma petite Opel couleur d’opale, des souvenirs ressurgissent des replis du passé. Je me revois à mon premier petit boulot d’étudiant. Et dire qu’à ce moment je pensais faire ça toute ma vie.

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