lundi 27 février 2012

Le charbonnier des abysses

C'est l'histoire d'une poule, elle court un peu partout dans la maison en ouvrant et claquant toutes les portes et en criant "papa ? Papa ?!" mais son papa ne répond pas, le salaud, il est peut-être même déjà parti, s'il a existé un jour.

L'animal claque les portes de plus en plus violemment, du coup, ici en haut, ça vibre et j'ai peur que ça ne réveille ma mère dont le sommeil est rapidement annulé. Une action s'impose, et la meilleure chose à faire est probablement de danser la claquette au dessus du salon de la poule ; si j'arrive à calquer mes pas sur le rythme respiratoire de ma mère, j'arriverai non seulement à ne pas la réveiller, à pratiquer mes pas de danse, mais surtout à faire comprendre à ces gallinacés souterrains que les portes ça ne se claque pas.

Je commence donc mes claquettes pour lui apprendre à claquer, et la manœuvre est plus aisée que je ne l'aurais imaginé. Bientôt, les figures se succèdent toute seules et mon jeu de jambes acquière une conscience propre. De ce fait je peux utiliser le haut de mon corps pour me remplir un bol de céréales avec du lait de soja (je suis intolérant au lactose, de fait).

Après le pas final (et la bouchée finale de concert), je ressens un silence énorme. Un avion passe dans le ciel à des milliers de kilomètres d'ici en faisant ce bruit céleste caractéristique, le vent soulève quelques feuilles mortes, quelques brins d'herbe, quelques grains de sable et puis se tait.

Les portes ne claquent plus, le résultat de mes claquettes ? C'est à espérer. Ma mère n'est toujours pas réveillée, quel talent j'ai ! Je tente immédiatement d'appeler mon agent pour lui faire écouter mon doigté pédestre, mais je n'en ai pas le temps, car en bas, dans les souterrains remplis de volailles qui me remplissent d'effroi la nuit quand je les entend murmurer, j'ouïs le coq.

Peut-être bien le père de la poule, ou son petit copain. Il caquette et cocoricote tout en claquant les portes encore plus fort que sa parente et/ou amie (je vomis). Au loin j'entends l'objet de sa recherche, la poule partie dehors l'âme en peine chercher son amant ou père en hurlant et en trouvant des portières de voiture et des clapets de boîtes aux lettres à claquer.
Mon oreille gauche et mon oreille droite, toutes deux bien fonctionnelles, transmettent les affreux messages à mon cerveau qui se charge de me dire la marche à suivre : Il décréta qu'il lui semblât qu'il fallut que j'allasse au sous-sol pour y faire directement mes claquettes et stopper cette mascarade ridicule.

Je me prépare rapidement à exécuter les ordres, et descends les escaliers. Je passe de la civilisation à la sauvagerie, de la raison à l'animalité, de l'odeur du gratin à celle de la fiente. Je pousse une porte grise et tachée et pénètre dans l'infâme endroit dont l'odeur me rappelait étrangement le poulailler que l'on avait fabriqué durant l'école primaire dans la cour.

Il n'y avait plus aucun bruit, pas une mouche ou une feuille pour tomber à terre. Même le vent avait arrêté sa litanie, abjurant jusqu'au sens de sa propre vie. Je tenais mes chaussures à claquettes comme un fusil, seules garantes de ma survie dans ce cloaque malodorant (mais comment un cloaque pourrait-il ne pas l'être ?). Ma respiration se fait plus rauque, plus violente. A ma droite je vois un chat à deux pattes qui traverse une sorte d'ancien salon abandonné et me sourit avant de s'en aller je ne sais où. Une table entourée de chaises et disposée à ma gauche sous une antique lampe dont l'ampoule est brisée. Mais où sont ces saletés de volailles ?! Je commence à paniquer, j'ai peur de ne pas arriver à mettre mes chaussures à temps, voire de me tromper de rythme, ou pire ! de réveiller ma mère !

Le facteur arrive, dépose une poule au sol et s'en va en faisant gronder son moteur. La poule fait « cot » et ce « cot » me glace le sang. A ma gauche apparaît le coq, qui me regarde de son œil injecté de sang. Il tourne vers moi son regard vide, puis lentement ouvre la bouche. Je suis paralysé par la peur et mes chaussures à claquettes semblent contre-providentiellement enrayées.

L'animal continue d'ouvrir le bec jusqu'à un certain point puis s'arrête. Alors, d'une voix qui me parut venir des tréfonds de la terre, de la bouche de l'enfer, de la dernière des dimensions il déclara : « coco, il veut un gâteau ». Puis il eut un rictus de coq avant de disparaître en fumée. J'en fus glacé d'horreur.

Peu après, ayant repris mes esprits, je remonte vers la civilisation, vers la raison, l'odeur du gratin. Je ferme toutes les portes à triple tour, cassant toutes les clefs dans toutes les serrures et me résous, une fois théoriquement à l'abri, à brûler mes chaussures crottées, cause future de nouvelles terreurs.

La poule que le facteur avait déposée semblait riche et bien nourrie. Elle prit possession du sous-sol, cet endroit affreux rempli de fumeroles malsaines et baigné d'une lumière glauque. Elle prit également comme résolution d'apprendre à la première poule et au coq (qui était à nouveau là) à claquer les portes de manière plus retentissante.

Ils étaient désormais trois à faire trembler toute la maison. Les portes s'ouvraient en grinçant et claquaient violemment. Un jour plus tard, je sombrai dans une terrible dépression. Deux jours plus tard, mes oreilles décidèrent de ne plus fonctionner. Trois jours plus tard, je fus pris d'un délire languide qui ne dut finir qu'avec ma vie.

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