vendredi 16 décembre 2011

Âme de bois, coeur de verre, chapitre I


Les arbres sont roses et verts et jaunes et joie ! Ils sont aussi super bien élevés. Par exemple hier, ah ça c’est une histoire, terrible, dingue, incroyable, délirante. J’avais perdu mes chaussures à la roulette et ma veste au Black Jack. J’arpentais sinuant les circonvolutions boueuses du grand jardin du baron en criant ma fatigue, mon injustice et mon terrible mal de pieds qui depuis un moment s’acharnait à me faire boiter.

Un hêtre bienveillant, bienvenu et ô combien barbu m’accueillit dans son humble demeure de bois. Il m’offrit de partager ses charentaises moussues et j’acceptai au grand délice de mes voûtes plantaires fatiguées.

L’affable végétal me présenta ensuite sa femme qui portait gracieusement un savoureux mélange de pommes et de poires au bout de ses branches, et son fils, buisson polisson d’à peine trois ans et demi.

Après quelques quarts d’heure passés en ce charmant endroit en compagnie de ces êtres sinon plus charmants, du moins très charmants aussi, mon singulier dégoût de la vie céda la place à un sentiment d’une beauté absolue. C’était de l’amour. Plutôt au sens platonique et amical du terme, car j’aimais le bon hêtre et toute sa famille sans ressentir le besoin de le montrer autrement qu’en irradiant le bonheur, et parfois avec une poignée de mots jetés pêle-mêle dans la chaleur d’une conversation animée.

Un soir que j’étais à nouveau à me ressourcer dans les pénates du hêtre, je sentis d’un seul coup mon cœur gonfler de joie à tel point qu’à un certain moment ce fut le trop-plein, je n’en pus plus. Je me levai, avalai d’une traite mon thé aux fruits rouges brûlant et déclarai d’un ton passionné ce qui traversait mon humble cœur d’humain, pressé dans mes entrailles bouillantes :

« Mes très chers et dévoués, ami arbre mâle, amie arbre femelle et ami enfant arbre. Voilà maintenant près d’un mois que vous assurez ma subsistance, que vous m’accueillez au sein de votre famille unie, sans peur d’élargir vos maillons pour me faire de la place. Vous m’inspirez des émotions telles que je pensais n’en jamais ressentir. Venir ici est comme pénétrer dans un paradis céleste accessible et connu de moi seul. Pour vous remercier, s’il est seulement un seul moyen au monde de le faire, j’ai décidé d’apporter ceci ».

Plein de larmes, je sortis, à leur grand étonnement, une bouteille qui jetait un éclat vert mystérieux et surnaturel, comme une barre de plutonium. Nous bûmes et rîmes, et le temps passa si vite que sans nous en apercevoir nous nous endormîmes. Ou plutôt nous évanouîmes et tombâmes, roulâmes, ronflâmes, et rêvâmes d’un délicieux passé simple.

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