lundi 19 décembre 2011

Le rouleau compresseur

Cette femme, il faut bien l'avouer, était laide. Et pourtant chaque homme passant près d'elle sans même la regarder tombait sous son terrible charme. Le dernier en date s'appelait Antoine Petit. Pris de convulsions il s'est jeté sur le pavé, sa tête brûlante cherchant vainement l'érotique de l'homme pour le lui offrir en pâture, pour qu'elle le dévore vivant. Seulement il n'avait rien à offrir, il n'était que poils et platitude, sécheresse désespérante et calvitie omniprésente. Il voulait qu'elle soit son vautour et que lui ne soit qu'une carcasse moisie.

Sans voix, amorphe, il perdit en une minute tous ses cheveux, puis il a crié "Je ne suis rien ! Je ne suis rien !" et ses testicules ont séché avant de tomber à terre comme deux petits cailloux bruns. Quand enfin d'une voix fine il est arrivé à bredouiller son je t'aime, elle était déjà partie.

La figure porcine, le nez un peu retroussé, quelques boutons mal placés, des bourrelets aux rondeurs divines, une énorme poitrine, des jambes courtaudes et une démarche de nain des montagnes, ainsi allait la trancheuse de cœurs, violant de son aura chaque microparticule masculine à cent mètres à la ronde, faisant des messieurs de frustrées lavettes et de leurs femmes d'éternelles insatisfaites.

Étonnamment, malgré son apparence, celle de la femme qui n'a personne, à qui caresser les fesses serait un service rendu à sa dignité féminine, sa tête de grassouillette paumée, qui fascine et dégoûte à la fois, dont le franc-parler sur les sciences obscures du sexe suffit à lui trouver quatorze partenaires prêts à se peler à l'économe pour lui plaire, malgré tout cela elle n'a jamais abusé de son pouvoir.

Au lieu d'attraper ces hommes qui répandent leurs boyaux d'amour à terre en criant et de les vider comme des poissons, elle passe son chemin, diffusant douleur et désir, passion et poison.

Durs souvenirs de l'école secondaire ? sombre vengeance ? abus de drogues ? recherche de l'art dans l'assèchement public des arbres de vie autoproclamés ?

Elle a le rouge aux joues et parle si peu que personne jamais n'en saura rien du tout.

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