jeudi 15 décembre 2011

Connard

Je venais à peine de me réveiller quand c’est arrivé. Une demi douzaine de milliers de centaines d’araignées géantes m’est tombée dessus, blam, comme ça, sans prévenir. Et comme chacune d’elle devait bien peser son poids, je fis un rapide calcul  pour enfin comprendre qu’un homme seul et simple d’esprit comme moi pouvait survivre lorsque plusieurs tonnes de chair poilue lui tombaient dessus.

Bordel mais c’est pas possible ! Je me réveille à peine et putain mais… des araignées quoi ! Je me relevai tant bien que mal dans une forêt de pattes urticantes garnies d’épais buissons de bouches affamées à l’haleine putride.
Je ramassai mon réveil matin qui était tombé lorsque je l’avais éteint, je le changeai en batte de baseball et me mis à fracasser de l’araignée comme jamais. Comme les bestioles étaient beaucoup trop grandes, elles n’arrivaient pas à esquiver mes coups ni à chanter avec une voix normale. J’en finis donc assez rapidement et une fois la dernière monstruosité défaite, je pus aller dans la salle de bain manger mon petit déjeuner.

Je n’eus même pas le temps de m’asseoir que la fenêtre sonna. Je me relevai (même si je n’étais qu’à moitié assis) et ouvris. C’était le facteur, un drôle d’oiseau avec des pinces et un accent indien à couper au couteau. Il me donna une lettre et puis me regarda avec un air du genre « et alors ? ». Je ne lui prêtai aucune attention et ouvris le pli avec un coupe-papier qui vaudrait, qui sait, beaucoup d’argent dans le futur. Lorsque mes doigts, comme mus par l’instinct, sortirent le contenu plié du pli, mes yeux informèrent rapidement mon cerveau de la nature de ce courrier indésirable… Une facture ! Bon sang mais on m’empêche de déjeuner en paix pour une facture ! Je chiffonnai le papier, le roulai en boule, dessinai un sourire dessus puis le fourrai dans le gosier du facteur qui s’étrangla et tomba en chute libre du vingt-cinquième étage en hurlant le nom de ses compatriotes.

Débarrassé de l’importun, je me rassis dans la salle de bain et engloutis au moins trois tubes de dentifrice sans même les assaisonner (il faut croire que j’avais vraiment faim).
Je me relevai (car cette fois j’étais vraiment assis) et m’habillai dans un style ringard, démodé. Avec des vêtements trouvés aux puces et qui étaient donc minuscules. Je me rendis tout petit et les enfilai, ils étaient pleins de poils de puces, ce qui n’était pas pour me déplaire. Un rapide coup d’œil dans le miroir, je n’avais pas la classe, j’étais minuscule et je ne ressemblais à rien, en bref, j’étais prêt pour sortir.

Je pris la porte comme on prend un taxi et sortis dans la rue. Je me dis alors : « ça y est, je suis dans la rue ». Un passant m’accosta et me déclara que j’étais dans la rue. Je lui répondis avec un rire ironique que je le savais déjà et même que je me l’étais déjà dit à moi-même.

- C’est ça, bonne journée enfoiré ! Dit-il.
- Ta gueule, répondis-je.

Cet intermède musical m’avait donné envie de grimper dans un arbre quelconque. Je trouvai donc n’importe quel arbridé dans le coin et me mis en tête de l’escalader. Celui-ci est un chêne, il est ma foi trop rêche, celui-là est un charme, nous ne nous entendrions donc pas vraiment, ah, mais celui-ci est un bouleau ! J’aime les bouleaux, j’y grimpe donc sans attendre.

Une fois au sommet, je contemple la ville et la ville me contemple, inférieure et minable, comme un gâteau moisi dans le frigo d’un clochard mort. Je m’inspirai de cette pensée dernière pour tenter de me sentir mieux dans ma peau. Pourtant, des années d’autoflagellation et de disputes avec ma grand-mère aux trois quarts folle m’avaient rendu aussi faible qu’un pinceau sans peinture. J’étais au bout du rouleau, et ce rouleau même était au bout de son propre rouleau. Je n’avais pas beaucoup d’argent, pas d’amis, et seulement trois voitures de collection dont je ne savais que faire. En plus, l’une d’entre-elles ne roulait même pas.

Je m’installai, tout soupireux que j’étais soudain, au creux d’une branche solide après l’avoir débarrassé d’un ignoble nid d’oiseau. Il fallait absolument que je prenne un moment pour faire le vide, me retrouver avec moi-même (même si cette perspective n’était pas forcément enchanteresse) et réfléchir. Si ma vie était pourrie et si j’étais un connard vulgaire et désagréable, est-ce qu’il ne fallait pas que je change quelque chose ? Je me perdis dans mes pensées pour savoir quoi changer. Mais ainsi perdu dans mes pensées qui elles-mêmes se perdaient, j’étais encore plus perdu, je sortis donc de moi-même, incapable d’y trouver une solution.

- Mais que changer ? Me demandais-je tout haut.
- Tu pourrais commencer par être moins un enculé, me répondit une voix fluette.

A ces mots, comme dans un dessin animé, je plaçai alors des points d’interrogation au dessus de mon crâne et me mis à regarder dans toutes les directions à la fois. Je criai « mais qui parle ? qui parle ? » et on me répondait « ton cul connard ! ton cul ! » et moi je reposais la question à nouveau mais la réponse restait la même.
Mon cul, est-ce que c’était bien mon cul qui me parlait ainsi et m’insultait ?
Je lui posai la question pour en avoir le cœur net, mais il ne répondit rien. De plus, me dis-je en me frappant le front, je savais bien que ce n’était pas sa voix !

- Je sais bien que ce n’est pas mon cul qui parle ! Déclarai-je triomphant.
- Ah oui ? Connard.

Cette fois j’étais bien décidé à savoir qui parlait. J’enclenchai ma perception ultrasonique et envoyai des sons stridents dans toutes les directions (ma mère avait des gènes de chauve-souris, qui a dit que les déviances sexuelles ne payaient jamais ?). Bientôt, je sentis une perturbation dans les ondes sonores. Je déployai mes hideuses ailes et suivis cette perturbation. Une ou deux secondes plus tard, je me posai sur la branche du dessous, une mésange me regardait d’un air sévère à côté de son nid détruit. Dans le nid (qui était détruit) se trouvaient quelques œufs dont certains avaient éclos. Les petits, au lieu de piailler pour avoir de la nourriture comme le font normalement les petits oiseaux, se contorsionnaient pour me faire des bras d’honneur (ou des ailes d’honneur, je ne suis pas oiseau-ologue).

- Alors connard, me dit la mésange, on est venu finir son boulot ?

Elle désigna le nid, et je me souvins l’avoir évacué tout à l’heure pour m’installer.

- Madame, pour ma défense je n’ai qu’une chose à dire. J’étais là, voyez, et je voulais me poser sur une branche, car finalement vous et moi nous ne sommes pas si différents, nous nous posons sur des branches chacun à notre manière et pour nos raisons. Je voulais me poser et réfléchir, et pourquoi pas même, j’aurais peut-être pu chanter. Mais le problème, c’était ça, c’était votre nid. Je l’ai trouvé, passez moi l’expression, mochissime et les œufs qu’il contenait, bah, c’était d’un goût. Enfin bref, tout ça pour dire. Je ne suis pas désolé, et je vous emmerde madame.
La flamme de pure furie qui s’alluma alors dans son regard aurait pu signifier ma fin si un chat noir et blanc n’avait pas profité de notre dispute pour se hisser sur notre branche et tenter de manger l’un des petits. La mère mésange se désintéressa immédiatement de moi et de mes histoires. Elle fit face au félin qui lui fit face aussi et ils sortirent chacun une arme. L’oiseau, rapide et agile, sortit une arme adaptée, une petite rapière garnie de pierres précieuses. Le chat quant à lui dégaina une hache de bataille au manche éraflé et à la lame abîmée, preuve de nombreux combats.

Je profitai de leur duel pour redescendre en catimini après m’être fait un chapeau avec des feuilles. D’en bas, j’entendais le fracas du métal. Je me demandais qui allait gagner, mais en secret j’espérais qu’ils feraient match nul, et que les chats et les oiseaux coopéreraient pour conquérir le monde et remettre enfin ce grand couillon qu’est l’homme à sa juste place.

Tout en pensant ça, je me ravisai encore plus en secret, me rappelant mon appartenance à la race humaine.

Maintenant que tout était rentré dans l’ordre, je pouvais entamer ma recherche pour un travail. Je pensais que ça pourrait être le premier pas vers une vie plus rangée, et de plus, je croyais dur comme fer que mon nouveau chapeau m’aiderait dans ma tâche, celle là même que tout le monde trouve si compliquée.

J’entrai chez le premier employeur que je pus trouver. L’endroit était plus crasseux qu’une vieille friteuse à moitié vide. Je m’avançai vers la réceptionniste en faisant craquer le plancher pourri. Je déclinai mes identifiants tout en tripotant mon couvre-chef pour attirer l’attention dessus. La vieille dame me regarda, puis descendit son regard jusqu’à mes pieds, remonta jusqu’à ma tête sans prétendre apercevoir mon chapeau, enclencha sa vision laser et répéta l’opération. Elle ferma les yeux (j’ai toujours pensé que c’était à ce moment là que les vieilles dames sauvegardaient leurs données, mais je n’ai jamais osé leur demander) puis les rouvrit.

- Nettoyer des merdes, ça vous convient ?
- Ouais.

Elle me donna un balai et un seau rempli d’eau stagnante et je fus acheminé par voie postale vers mon premier employeur, un vendeur de merdes.
J’entrai et me présentai. On m’introduit auprès du patron, une espèce de larve qui aurait passé son temps à manger de la boue en regardant des films de cul.

- Bien le bonjour monsieur ! Vous êtes le nouveau nettoyeur ? Je suis Blokblek le rebutant, et je vends des merdes. Votre rôle sera d’en faire de belles merdes pour que je puisse les vendre plus chères.
- Je serai payé quoi ?
- Un salaire fixe pourri, plus un bonus minable sur chaque vente.
- Me convient.
- Me convient, qui ?!
- Me convient, sale limace de mes couilles.
- Bien, vous pouvez commencer immédiatement.

Inutile de préciser qu’une journée entière à nettoyer des merdes avait de quoi fatiguer même le plus hardi des chevaliers servants du Moyen Âge (et pourtant dieu seul sait s’ils devaient en nettoyer, des merdes). Je sortis donc éreinté vers dix-huit heures. Je hélai un taxi qui me ramena chez moi, et dont le chauffeur se plaignit de mon odeur et de ma moustache qui faisait assez pédophile, il faut bien l’avouer. Je sortis sans payer après avoir vomi sur la banquette arrière et rentrai chez moi, tel l’ours sort de chez lui après le rude hiver.

Une fois entré, je demandai à mon chien de me faire couler un bain et il s’exécuta non sans grommeler des grossièretés entre ses dents pointues.
Une fois dans l’eau bouillante, je m’activai pour faire partir cette odeur de merde de ma peau tout en surfant sur des sites de vente en ligne (j’espérais trouver du cirage d’occasion pour mon chapeau mais la recherche fut infructueuse).
Ayant troqué mes exhalaisons fétides pour un parfum de violette un peu tarlouze, je m’assis devant la télé et décidai en mon âme et conscience de regarder des séries jusqu’à quatre heures du matin, heure à laquelle je finis par m’évanouir.

Je me réveillai le lendemain, effaré une fois de plus par la taille de mon lit. Bordel, il fallait vraiment que je me trouve une copine. Alors ce jour là, au lieu d’aller travailler, je décidai que j’allais aller dans tous les bars de la ville draguer à mort. Je mis mon plus beau costume en poils de chameau et partis, sans oublier mon nouveau chapeau qui faisait sensation dans les chaumières.

Le premier bar sur ma route était le « Bière ». Je me dis que c’était un nom simple, franc, efficace et fort. Comme on dit en allemand, Geschmack braucht keinen Namen. J’entrai donc après m’être raclé la gorge de manière dégoûtante au cas où il faudrait engager la conversation (cela était possible si le langage du corps ne marchait pas).

Une fois à l’intérieur, je repérai immédiatement une petite brune rousse un peu blonde et un peu chauve qui buvait un diabolo menthe avec une robe de princesse tout en discutant avec un homme à tête de cheval qui devait être son père.

Je jetai une boule d’avoine au loin pour éloigner l’intrus, et m’assis à sa place. Je commençai alors mon rituel. D’abord des mouvements des mains, des petits moulinets, sans vraie signification, juste pour centrer l’attention de la fille sur moi. Lorsque ce fut fait, je me mis debout, lançai une chanson débile sur le juke-box et lui montrai que je savais danser. De fait, j’avais appris la danse après le divorce de mes parents. Ma mère chauve-souris obtint ma garde, et m’apprit tout ce qu’elle savait de cet art obscur.

A partir de ce moment là, je sens qu’elle commence à s’intéresser, alors je fais la roue pour lui montrer que je suis athlétique. Dans ses yeux, je sentis une étincelle de désir. Je me mis alors sur la table et lui montrai qu’elle n’était pas la seule à être chauve. Je renversai son diabolo menthe qui effectua un arc de cercle tout à fait scientifique avant de venir se vider entièrement dans ma chaussure droite.

Mais alors que je pensais que ça allait être la flamme qui ferait partir la poudre jusqu’à son tonneau, elle se leva, horrifiée et presque terrorisée, et sortit. Je la suivis en serpentant à terre comme un lombric, et lorsque nous fûmes dehors je lui demandai la raison de sa fuite.
Tout en courant, elle m’expliqua qu’elle faisait partie d’une étrange secte qui vénérait le diabolo menthe comme un dieu tout puissant. Je compris alors mon erreur et l’attrapai par l’épaule.

- Ecoutez j’aimerais me faire pardonner, est-ce qu’on peut parler un peu ?
- D’accord, dit-elle en s’arrêtant d’une manière ni logique ni naturelle. Vous faites quoi dans la vie ?
- Je nettoie des merdes.

S’ensuivit une relation durable et solide, un vrai amour comme on en voit nulle part ailleurs que dans les films. Je changeai mon nom pour Rob et elle pour Klut.
Et nous vécûmes heureux, mais heureusement pour tout le monde, j’étais stérile depuis des années.

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