mardi 27 décembre 2011

Quelques pies

Le matin, même rengaine que d'habitude. Thé froid, manteau froid et chaise froide. Puis je sors dehors et comme par hasard, c'est l'hiver. Ben tiens. Le contraire m’eût aurait été avait étonné. Je rentre dans ma voiture froide, mais avant, je jette un regard froid alentour et je tombe regard à bec avec un oiseau. Une espèce de pie, enfin en tout cas l’animal était noir et blanc. Mais il existe sûrement pas mal d'oiseaux noirs et blancs, en plus si ça se trouve les couleurs du mâle et de la femelle sont différentes... ah mais non, on dit "une" pie. Donc il n'y a pas de mâle. Je suis bête le matin. Bête et froid.

Il y avait une seule pie, qui frétillait allègrement sur un lampadaire qui éclairait le brouillard autour de lui, plus ennuyeux que pratique. Je me demande un petit moment si la pie est froide, puis je démarre. Le moteur est froid, alors ça prend un peu de temps. Quand enfin la machine est... chaude, alors je roule jusqu'au travail.

Et puis après je rentre à la maison. J'ai... chaud mais ce n'est qu'une illusion. Parce que je sais bien que tout autour de moi est froid. Surtout le levier de vitesse, mais je ne sais toujours pas pourquoi. Je n’ose pas lui demander, j’ai peur qu’on me prenne pour un fou, si on me surprenait.

Quand je sors de l'habitacle qui est si faussement... chaud, je vois qu'au lieu d'y avoir une pie là où il n'y avait qu'une seule pie ce matin, il y en a deux. Elles croassent comme deux vieux corbeaux. Pourtant ce sont des pies, pas de doute (je me suis renseigné depuis ce matin). Je m'approche d'elles et soudain elles s'arrêtent de parler pour me regarder d'un regard noir et froid. Je sens cette froidure me transpercer jusqu'à mon coeur froid qui renvoie du froid dans mon corps tout entier. Etant froid par nature, je ne ressens qu'un léger chatouillis, comme si quelques coccinelles froides étaient piégées sous mon t-shirt.

Puisque je ne suis pas le bienvenu, je décide de m'en aller à droite. Mais je me trompe de direction. Je fais demi tour, repasse devant les oiseaux toujours silencieux, devant le concessionnaire de voitures dont l'immense logo brillant, froid et lumineux me faisait de l'ombre en été. Du coup même en été, j'avais froid.

Je rentre à l’intérieur et je mange de la nourriture. Je ne parle même pas à ma télé, signe que mon équilibre interne est en train de vaciller. Je prends une douche froide et je repense à ces oiseaux. Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien manigancer ? Pas moyen de deviner ni même d'inventer une histoire qui se terminerait par "allez comprendre". Donc je suis allé me coucher. Sous mes draps froids.

Le lendemain, même rengaine que d'habitude. Et il faisait encore plus froid que d'habitude d’ailleurs. Ca rendait l’habitude étrangement plus habituelle que d’habitude. Même ma tasse tremblait. Le poêle était malade et crachait une fumée noire et froide, en laissant sa nourriture sécher dans ses entrailles obscures. J'ai mis mon chapeau froid et mes bottes en caoutchouc (celles qui sont froides) et je suis sorti dehors.

Arrivé devant la poignée toute froide de mon véhicule, je crus entendre le cri d'une ferme, non loin. Mais je me trompais. Ce n'était que les pies. Elles étaient maintenant trois et caquetaient comme des poules en train de se raconter les petits secrets les unes des autres. La question de savoir pourquoi ces oiseaux ne s'en tenaient pas à leur cri de base m'effleura et laissa un baiser froid sur ma joue déjà bleue. Et puis elle partit. Et moi aussi.

Journée de travail, une heure de trajet pour revenir. Embouteillages, des gens froids qui se jettent des insultes à la figure comme autant de crachats si froids qu'on aurait juré de petites boules de glace. J'utilise personnellement une petite batte portative (mais froide) pour renvoyer les projectiles à leur expéditeur. Quand je fais ça, je dis "retour à l'expéditeur" et malgré le fait que ça soit une blague géniale, ça laisse tout le monde froid, même moi.

Je suis enfin chez moi. Il fait noir et le givre (dont je n'ai pas besoin de préciser la nature) commence gentiment à recouvrir l'herbe qui, même si elle n'a rien demandé, se laisse faire docilement. Instinctivement, après avoir rendu sa pseudo-liberté à ma voiture, je regarde vers le lieu de rassemblement des pies. Cette fois, il y en a dix. Voire douze même, je ne sais pas, je n'ai jamais appris à compter au delà de dix. Et elles piaillent comme de petits moineaux. Elles sont toutes rapprochées. Probablement pour se tenir… chaud. Je les regarde, elles arrêtent de chanter et braquent toutes leur regard glacial sur moi. Enfin il n'était pas tout à fait glacial, disons qu'il était plutôt froid. Et leurs petits yeux noirs immobiles, n’en parlons pas.

A ce moment, je compris que je ne comprendrais jamais. Je suis rentré chez moi et je me suis endormi tout habillé. J'ai rêvé que j'étais une pie et que je bramais comme un cerf au milieu d'une foule de mes semblables. On avait chacun une paire de petites cornes recourbées. Puis, comme c’est souvent le cas avec le sommeil, je me suis réveillé. Décidément je deviens cinglé. C'était un rêve agréable, pourtant je me réveille plein de sueur froide. Je change de vêtements et me mets en route vers le travail sans déjeuner, sans regarder les pies, sans même allumer le moteur. Et je fais ça pendant plusieurs jours. Je ne veux plus entendre parler d'oiseaux, et j'ai tellement froid qu'on pourrait geler des oeufs sur mon front avec une poêle. Ce n'est même plus que j'ai froid, je SUIS froid. Je ne dis plus bonjour aux vieilles dames, même si je les croise dans les bois. Et je reste comme ça, froid, pendant deux semaines.

Pendant ce laps de temps, l'hiver avait eu tout son temps pour s’installer confortablement. Il avait rigidifié tout ce qu'il pouvait rigidifier, que ça soit les brins d'herbe, les fruits, les gens.

Plus personne ne bouge, le monde entier est froid comme la mort. Voire encore plus froid. J'ai moi même, malgré l'habitude, du mal à marcher. Je sors pourtant, comme chaque matin, pour aller au travail. Et là, impossible, tout simplement impossible de mettre le pied dehors. Ma jambe gèle à la vitesse de la lumière qui gèle. Le soleil voilé jette une lumière froide quand il peut, et cela ne fait qu’aggraver les choses.

Bientôt le restant de mon corps se met à geler lui aussi. Et je vois tous ces gens dehors qui ont eu la même mésaventure, figés pour l'éternité dans des positions ridicules. Je pensais être blasé de tout, mais soudain je perds mon sang froid. Je panique. Je sens mon coeur égocentrique abandonner mes membres un à un, jusqu'au plus sacro-saint d'entre eux. La fin approche, je vais geler. Je resterai froid pour toujours, à jamais, bref, pour longtemps. Je ferme mes paupières bleues et pense à rendre le dernier soupir. Je verse une larme qui se brise au sol comme un verre à pied un soir de noël.

Et dans un soupir froid, j'entends les pies. Je rouvre les yeux. Le mouvement est laborieux Elles pépient comme des pies. Elles sont au moins quarante mille. Voire plus, car je n'ai jamais appris à compter au delà de trente mille. Le bruit qu'elles faisaient était assourdissant. J'aurais presque préféré que mes tympans gèlent pour qu'on me laisse tranquille. Mais ça ne s'arrêtait pas. Un dernier moment d'horreur avant de dormir pour toujours, probablement. Si ça se trouve je l’ai mérité, allez savoir.

Pendant quelques minutes, j'attendis la mort comme un bon chien attend son maître à la maison. Mais elle se faisait attendre, encore et encore plus longtemps. Seuls mes globes oculaires étaient encore actifs, et ils ne me permettaient de voir qu'une ribambelle de pies hurlantes. Bientôt les oiseaux crièrent d'une même voix trois fois, puis s'envolèrent tous, firent trois fois un cercle dans le ciel, piquèrent trois fois vers le sol et revirèrent au dernier moment. Enfin, les pies se posèrent toutes sur l'énorme panneau d'affichage métallique et lumineux du concessionnaire de voiture d'à côté. Et alors elles se turent. Le silence était encore plus assourdissant alors que leurs cris mêlés. Et dans ce silence se fit entendre un grincement puissant et profond, celui qu'on aimerait entendre dans une vieille épave.

Un battement d'ailes, un grincement. Et encore, et encore. Bientôt elles s'agitèrent toutes frénétiquement, emplissant l'air froid de leur vrombissement aérien. Et dans un moment de rêve total, elles arrachèrent le panneau d'affichage, arrachant les fils, tordant le métal, détruisant les ampoules, pliant les piliers, et l'emportèrent au loin. Très loin. Probablement dans un nid géant. Comme un monstrueux trophée. Et le soleil voilé se dévoila, et l'ombre du panneau d'affichage n'était plus là pour me donner froid. Soudain ce fut l'été et je me mis à dégeler. D'abord moi, parce que je l'avais mérité, puis toute la ville, puis le monde entier.

Et pour la première fois depuis des mois j'avais réellement... chaud.

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