lundi 19 décembre 2011

Âme de bois, coeur de verre, chapitre IV

Je me réveillai seul et au même endroit, en pleine nuit. La fraîcheur de la brise nocturne tenta vainement d’ébouriffer mes cheveux collés par la sueur séchée. Je m’assis avec difficulté et les deux extrémités de mon extrême sourire allèrent wiggle-waggeler dans tous les sens.

Abattu par l’ironie, en total désespoir de cause, noyé dans le ridicule le plus épais, je criai « bouah ! bouah ! mais qui donc m’aidera ? » à plusieurs reprises. A la quatrième, la lune me prêta l’oreille un instant avant de se remettre à m’ignorer, voyant qu’elle ne pouvait rien faire pour moi ; à la cinquième, les créatures aquatiques habitant les alentours de l’île se jetèrent sur la plage et se mirent à ramper laborieusement vers l’origine de mes cris dans un grand élan de solidarité. Sur le point d’abandonner, je criai une sixième et dernière fois. Les feuillages derrière moi frémirent et une espèce d’humain en forme de lézard en sortit prestement avec l’agilité d’un chacal américain surentraîné.

Il avait les pattes blanches, les dents noires, et ses yeux brillaient d’un feu crépusculaire qui agitait les ombres autour de lui. Dans sa main droite, couverte d’écaille, il tenait une lance de laquelle s’échappait une fumée mystérieuse. Dans sa main gauche, il ne tenait rien d’autre que le don de parler aux esprits et de consulter d’autres mondes dans lesquels nos impossibles problèmes ne sont que broutilles.

Je me jetai à ses sortes de pieds et implorai :

« Ô grand, puissant être à la stature irréelle, surprenant ami venu du fond des bois obscurs, aidez-moi, ayez pitié, car ici me voilà devant vous impuissant ».

La créature souleva ses narines, ce qui me sembla un signe d’approbation, et me dit de la suivre, ce que je fis sans hésiter mais non pas sans difficultés, traînant le poids morbide de ma bonne humeur. « Classique ! » disait sans cesse la bête, « Classique ! ».

Nous arrivâmes devant une petite hutte au toit couvert de feuilles et de branchages, chauffée au poêle à bois. Une grande marmite fut déposée sur des bûches puis fut déplacée pour pouvoir allumer un feu ronflant, puis fut replacée sur les flammes ardentes.

« Classique, parlez vous de mon mal ? » demandai-je de ma voix post-dentistesque.

L’homme-lézard se retourna lentement vers moi et retira son masque. Bon sang ! Il s’agissait en réalité d’une femme ! Je me pris à jurer intérieurement à cette découverte sur les apparences si trompeuses.

« C’est un mal très commun par ici », dit-elle calmement, « et cela appelle un remède terrifiant ! ». Elle m’ordonna ensuite de peler des noix de coco jusqu’à ce que mort s’ensuive et me donna un tout petit couteau pour effectuer ma tâche, capitale d’après elle.

Ce travail n’était pas chose aisée, car ces étranges fruits étaient on ne peut plus récalcitrants. Dès que je commençai à entailler une de ces noix surdimensionnées, elle s’échappait et allait courir en gloussant plus loin. Je la poursuivais avec peine en hurlant « viens ici ! reviens ici ! » et elle de répondre « non non non lalala » jusqu’à ce que mon hôte, amusée jusqu’au rictus, la foudroie du regard. La noix se laissait alors faire docilement, non sans quelques larmes de crocodile, mais j’avais depuis longtemps perdu toute empathie.

Le mercredi suivant, le remède terrifiant fut prêt. Mon sourire avait atteint son paroxysme et avait enfin cessé de s’élargir. La femme-lézard me servit un bol de la mixture brûlante que nous avions préparé, puis entra dans sa hutte pour y chercher je ne sais quoi.

Je bus, me délectai et en redemandai. C’est à ce moment que celle que je croyais mon amie et avec qui je pensais avoir tissé des liens plus forts que ceux de l’amour sortit de sa demeure armée d’une énorme pince monseigneur et d’un effroyable chalumeau oxhydrique. Je perdis les couleurs qui me restaient, me relevai et me préparai tant bien que mal à en découdre malgré mon handicap manifeste. « Il le faut ! » déclara-t-elle, « Il faut absolument égaliser ce sourire avant qu’il ne perturbe mon équilibre mental ! Ah ! ». Elle tomba à genoux et prit sa tête dans ses mains, « Trop tard ! Je commence déjà à perdre la raison, il faut en finir ! ».
Je la regardai approcher, paralysé de passion et de peur. Je sentis la dure lame de la pince glacée sur le côté gauche de ma bouche. J’étais sur le point de me laisser faire lorsque mon corps décida de prendre le contrôle. Il voulut crier « Plutôt mourir ! » mais ne réussit qu’à baragouiner un ridicule « Pflft mfrrhr ! ». Il retira ma lèvre juste avant que la pince ne se referme, puis, sans me demander mon avis, me fit sauter dans le chaudron.

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