lundi 19 décembre 2011

Âme de bois, coeur de verre, chapitre III


Je remontai vers la surface, les joues pareilles à celles d’un hamster obèse, les mains les plus palmées possible. En arrivant à l’air libre, je compris que j’avais fait beaucoup de chemin depuis ma chute de chute. L’eau s’étendait à perte de vue à droite, à gauche et au milieu. Le ciel était bleu, sans nuages, excepté pour quelques rognures nébuleuses usurpant presque ce dernier adjectif.

Au loin, j’aperçus une petite île qui me sembla de bon augure. Je sifflai trois fois et une série de crumbles aux pommes apparut à la surface de l’eau pour me permettre de me déplacer plus rapidement. Je pris appui sur l’un d’eux pour me hisser sur un autre. Je dus faire un réel effort de concentration pour ne pas tomber et bientôt je trouvai un point d’équilibre, en position du cygne. Je me souvins de mes leçons de marelle pour arriver jusqu’au bout de ce chemin de traverse. Je pris un caillou brillant qui flottait non loin et le jetai vers le ciel. Il retomba bien vite sur la terre pour m’indiquer bien urbainement le chemin à suivre à cloche-pied.

Des poissons-chats suivaient mon périple et faisaient des bulles en ronronnant. Bientôt je mis pied à terre, ou plutôt pied à sable. Quel bonheur de retrouver la terre ferme ! Mon sourire s’élargit tant et tant que quelque temps plus tard je dus pencher la tête en avant pour ne pas me démettre le cou.

Les jours passèrent, et mon sourire devenait de plus en plus imposant et lourd, à tel point que quand je voulus rire au vu du ridicule de la situation, je ne le pus. Mes journées étaient de petits bouts d’enfer. Mes nuits, des calvaires interminables, comme il m’était impossible de m’adonner à mon activité nocturne favorite : me retourner. Ma bouche souriante accrochait troncs et lianes quand je tentais d’explorer mon île. Décidément je devais être trop heureux, beaucoup trop ! Et c’était insupportable.

Mon visage était à présent assisté par deux béquilles de bambou fair-trade pour pouvoir faire semblant de tenir droit. Je n’avais jamais été aussi content. Il fallait en finir. J’essayai tout d’abord de penser à des choses tristes. En premier lieu celles qui sont vraies, comme la misère dans le monde ou la bêtise humaine, mais je n’arrivais pas à me sentir concerné. En second lieu je tentai d’en inventer : imaginons une personne morte qui ressuscite et qui re-meurt, quelle tristesse ! quelle horreur ! Mais je continue de sourire car la vie est bien trop belle pour se soucier des morts-vivants morts. A ce moment de dépit total, l’une de mes deux béquilles faciales cassa net et un bout de mon gigantesque sourire alla se planter dans le sable, transformant ma bouche en un vague S renversé mal foutu.

« Cette fois, y en a super méga giga marre ! » m’écriai-je du mieux que je pus. Je me levai, croulant à moitié sous le poids de ma propre bonne humeur, et décidai de me frayer un chemin à coups de machette imaginaire vers l’autre côté de l’île. Il s’y trouverait sûrement une personne quelconque qui pourrait m’aider. Dans le cas contraire, c’en était fini de moi. Et tant mieux, je me supporte de moins en moins de toutes manières.

J’avançais avec une peine infinie. Mes bras étaient désormais trop petits pour atteindre le bout penché de ma monstrueuse bouche et je n’avais pas réussi à réparer ma buccale béquille. Je laissais une profonde traînée dans le sable, arrachais les herbes mauvaises ou bonnes et saccageais les terriers de lapin. Mon bonheur devenait de plus en plus pesant à mesure que je progressais et bientôt, à bout de souffle, je tombai inanimé devant un palmier centenaire. Il aurait bien ri de voir l’homme, le grand, le fier, l’inventeur de la hache, dans une situation aussi pitoyable. Le malheur était sur moi et je laissais enfin à son poids tout le loisir de m’écraser. J’avais mis le doigt dans un engrenage infernal et j’étais broyé dans sa mécanique comme un grain de café dans cette machine jaune qui me revient parfois dans des flashs de mon enfance.

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