samedi 24 décembre 2011

De midi jusque quatorze heures


Lève toi imbécile.

Dans la nuit une voix m'appelle, pour lui répondre je n'ai aucun autre moyen que de me lever, passer une chemise et sortir.

La lune est pleine, elle est froide et me regarde de son immense oeil aveugle, au loin le paysage cassé, morcelé, joue sur le clair obscur, probablement pour me troubler.

C'est pas en te levant que tu vas me répondre.

Encore la voix, décidément je commence à la trouver vulgaire, elle m'énerve.

Pourtant j'essaye de trouver d'où elle vient, alors j'ouvre le garage et je prends mon vélo, celui qui est rouillé et dégoûtant, celui qui grince quand on appuie sur les pédales, celui dont les deux roues sont crevées depuis des années.

Je l'enfourche et me mets en route sur les trottoirs nocturnes, éclairé seulement par quelques lampadaires et par les rayons lunaires.

Il est pourri ton vélo, comment ça se fait qu'il roule ?

Encore elle, j'ai envie de lui répondre que ça ne la regarde pas mais quelque chose m'en empêche, alors je me contente de rouler. Je suis en montée, c'est dur, je sens mes jambes fatiguer, j'aurais dû faire plus d'exercice. J'arrive bientôt à un rond point, j'y croise une voiture rouge qui est grise parce qu'il fait nuit. Le conducteur se demande ce qu'un type en pyjama fait à cette heure-ci sur un vélo rouillé trop petit pour lui. Malheureusement pour l'homme, je n'ai pas le temps de m'introduire dans son esprit pour y déposer des réponses. Je continue ma route.

Tu n'es pas très poli, tu as bien vu qu'il était intrigué.

Cette fois je vais lui répondre.

- Il n'avait qu'à pas se poser de questions, c'est lui l'impoli.

Et tiens, prends ça.

J'arrive en haut de la montée et prends à gauche, en direction de la gare, je ne sais pas trop pourquoi. L'intuition probablement. Comme si j'étais capable d'avoir une once d'intuition en ce moment. Je roule et roule encore, mes roues crevées ne me lâchent pas, elles tiennent bon, par un processus mystérieux elles fonctionnent encore très bien.

Le vent caresse mon visage, le vélo m'a donné chaud et la brise chasse des gouttes de sueur vers l'infini que constitue "derrière moi". Je passe ma manche sur mon front pour le sécher un peu puis accélère.

Tu vas à la gare ? Pourquoi exactement ?

- Je sais pas pourquoi, répondis-je. Mais ce qui est sûr, c'est que tu ne le sais pas non plus.

J'avais raison, la voix en savait finalement autant que moi.

Mais qui était cette voix finalement ? D'où venait-elle et pourquoi m'étais-je levé pour la suivre ? De plus elle avait commencé par m'insulter et je n'avais pas bronché, décidément il fallait que je procède à plus d'introspections dans mon for intérieur.

Les barrières qui bardent les chemins de fer des deux côtés me saluent sans rien dire ni faire aucun geste. Je me positionne parallèlement à elles et continue à rouler. A ma gauche, les maisons sont endormies, comme les gens qui y sont contenus. Un chat traverse la route lentement. Il sait qu'aucune voiture ne viendra perturber sa route, alors il prend son temps. Lorsque je passe à côté de lui, il lance un petit miaulement rauque, un cri si fin, si subtil, et qui pourtant déchire la nuit de part en part. Le ciel se casse en deux. Ce n'est pas le jour qui apparaît, pourtant la nuit disparaît.

On dirait que ce chat sait quelque chose.

La voix a raison. Je décide de changer de cap pour poursuivre le chat qui avait pris la fuite.

Des bouts de nuages en verre viennent se fracasser de part et d'autre de moi. Curieusement, aucun ne vient abîmer mon vélo ou moi-même. Le chat court vite, alors j'accélère encore. Le ciel est devenu d'un pourpre profond, les étoiles paraissent rouges, certaines sont plutôt jaunes. Les choses qui étaient grises un instant auparavant à cause de la nuit avaient changé d'aspect, mais je n'avais pas le temps de m'y attarder. J’ai une cible : le chat.

Il court et court encore, pendant que moi je roule et roule. Je me demande un instant à quelle vitesse je roule, puis la question me sort de la tête et va fracasser un rétroviseur à proximité.

Au bout de quelques minutes de poursuite, le chat commence à fatiguer. Lorsque je vois le rythme de ses petites pattes devenir de moins en moins rapide, je ralentis mon allure également pour préserver mon souffle. Il allait falloir qu'il réponde à quelques questions, ce maudit animal venait de créer un nouvel état qui n'était ni le jour ni la nuit, quelque chose que n'importe qui rêverait de faire, pourtant il n'était qu'un chat.

D'un coup, l'animal fit volte-face et feula.

- Rien qu'un chat hein ? Je te montrerai. Dit-il.

Et il me montra, en effet. Il s'approcha de moi, faisant craquer le sol sous ses coussinets, il arrêta mon vélo d'un geste et le réduisit en miettes avec ses griffes. Puis de ses yeux lumineux, il me fixa.

- Le chat... Balbutiais-je.
- Humain, répondit le chat.
- Comment appelles-tu... Ce... Ca ?

Je parlais bien évidemment du moment de la journée dans lequel nous nous trouvions. C'était nouveau, c'était perturbant. Aucun mot français ou même d'aucune autre langue n'arrivait à qualifier l'état dans lequel l'air, les buissons, les animaux nocturnes, s'étaient retrouvés.

- Ca n'a pas de nom.

Le chat s'assied sur le bitume et me toise à nouveau. L'angle dans lequel je me trouve par rapport à lui fait briller une flamme verte dans ses pupilles énormes.

- Ca doit avoir un nom.

Je veux savoir, il me faut quelque chose, même le début d'une piste à moitié effacée, je dois inscrire un mot dans mon esprit sur ces images.

- Tu n'as qu’à regarder, dit le chat en pointant le paysage derrière moi de sa patte.

Je me retourne et vois alors le ciel totalement exempt de nuages, la lune, devenue bleue électrique, tourne visiblement sur elle-même. Les oiseaux semblent voler au ralenti. Les montagnes au loin, s'échangent des rochers.

Je me retourne à nouveau, le chat a disparu, bien sûr. Il a profité de l'occasion pour s'enfuir.

Lorsque je me retourne encore à nouveau dans l'autre sens, je vois une foule de ses congénères m'entourer. Le bruit de leur ronronnement m'emplit le coeur et l'esprit. Leurs yeux me vrillent. Ils s'expriment d'une même voix douce.

- Tu crois que c'est un rêve ? Pourtant tu peux retourner chez toi et aller te recoucher, demain tout sera pareil.

Ayant dit cela, il s'en allèrent en gambadant.

Je suis leurs conseils avisés et retourne chez moi. Mon vélo détruit dans un petit sac de toile à mon côté. Je le refondrai plus tard.

J'arrive devant ma maison, elle au moins n'a pas changé. J'ouvre la porte et m'engouffre à l'intérieur, l'air chaud me fait du bien. Je prends la direction de ma chambre mais après quelques pas j’opte finalement pour le fauteuil comme lit. Dans un souffle j'entends la voix me souhaiter bonne nuit, sans m'insulter cette fois.

Je dormis bien, et le lendemain, comme l'avaient dit les chats, tout était pareil...

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