mardi 27 décembre 2011

Âme de bois, coeur de verre, chapitre XII


Je m’attendais à voir le soleil matinal me faire un clin d’œil au travers de la canopée, mais à la place il mitrailla mon visage sans que rien ne vienne s’opposer à lui. Hêtre me secouait pour me réveiller. « L’heure est grave ! L’heure est grave ! », répétait-il tandis qu’une multitude de fleurs jaunes apparaissait dans ses branchages. « Jolies fleurs ! », dis-je, bâillant. « Ce sont les fleurs de l’angoisse mon ami ! Regarde autour de nous ! ». J’obéis et m’aperçus que mon doux lit n’était plus qu’un radeau sur une mer de copeaux. Tous les arbres des environs avaient été froidement abattus et passés au broyeur. Une véritable boucherie végétarienne, avatar sinistre du sempiternel cynisme humain, de son humour noir, de son rire jaune, de son âme olivâtre, la raison et la justification des éternelles crasses brunes sous ses ongles tranchants.

Je fus parcouru de frissons et me sentis mal, sur le point de m’évanouir, le cœur dans la gorge comme après un réveillon trop bien arrosé. Comme quand on glisse sur une vieille bouteille au réveil, qu’on se rend compte que le sol colle et que le chien s’est soulagé dans le caquelon à fondue faute de mieux. Plein d’une rage impuissante, je me levai et disparus jusqu’à la taille dans l’épaisse couche de copeaux. Mon ami, qui pourtant se baignait dans ce qui, de son point de vue, pouvait être du cadavre râpé, semblait mieux tenir le choc que moi. Il me prit la main alors que le voile rouge de la haine tombait devant mes yeux fous. Grâce à lui, j’arrivai titubant à ce qui était auparavant le garage de la famille Hêtre et qui n’était maintenant plus qu’un bout de clairière. Une voiture orange de bas standing nous attendait. J’entrai et m’assis derrière la place du chauffeur, à droite du petit être et en bas à droite de madame Hêtre, si on regarde la voiture du dessus et de dos.

Le père démarra sur les chapeaux de roue dans une tempête morbide de petits morceaux d’arbre. L’engin en était à moitié recouvert et il était impossible d’y voir clair. Heureusement, comme des inconnus étaient venus couper tous les arbres des alentours, il n’y avait aucun danger d’accident. Hêtre mit un disque de blues de la vieille école qui reflétait bien son humeur et fonça tout droit, rempli de mélancolie. Il essayait de paraître fort et fier, mais je savais qu’à l’intérieur il pédalait dans la choucroute.

Le niveau des copeaux baissa progressivement, et lorsqu’il n’y en eut plus du tout, nous arrivâmes dans le désert. Il faisait plein jour et la chaleur était d’un chaud peu commun. Un genre de chaud qui fait s’évanouir les personnes âgées dans la rue, inquiétant les passants idiots. Heureusement, il se trouve toujours parmi eux un glorieux héros pour s’inquiéter plus que les autres, s’abaisser, se relever, faire des gestes et dire des choses que personne ne comprend, appeler des gens qui semblent extraterrestres et qui emmènent le pauvre grand-père ou la malheureuse grand-mère dans un endroit où personne ne va jamais.

Le paysage désertique était d’une rare beauté. Des dunes comme d’immenses vagues de sable immobiles s’alignaient à perte de vue, des cactus par milliers poussaient chaotiquement par-ci par-là, levant leurs étranges bras vers un ciel sans nuages. Piètres cordonniers, malgré toutes leurs aiguilles.

Lorsque mon cœur fut touché par toute cette beauté, l’amour que je ressentis autrefois si fort pour ces amis avec qui je roulais brûla à nouveau. Et je fus piqué d’une infâme culpabilité qui me serra la gorge. Je crus bien défaillir lorsque je me mis à penser que toute cette mésaventure était peut-être de mon fait. J’étais un humain comme les autres, j’avais deux bras deux jambes, une voix, j’aurais peut-être pu faire quelque chose, mais à la place j’ai dormi, bercé par le bruit des tronçonneuses au lieu d’être scandalisé par ces engins détestables.

Par faiblesse ou par force de cœur, je décidai de m’en aller et de faire route en solitaire. Avec la souplesse du pokémon je fis la bise à chacun de mes compagnons avant de sauter par la fenêtre, utilisant mes ailes naissantes pour tourbillonner et ainsi freiner ma chute.

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